La partie de jonchets
En ce dimanche pluvieux et frisquet, les birettes avaient décidé de jouer aux jonchets. Non pas que ce jeu satisfasse leurs instincts facétieux, mais il faut bien s'occuper, quand le temps reste opiniâtrement gris, alors que la veille encore l'on gambadait parmi les jonquilles. Non, vraiment, les giboulées exagèrent un tantinet cette année, on ne peut plus se fier à rien.Ce n'est pas tant par amour du "beau temps" que les birettes se désespéraient, mais parce que lors de ces maussades journées, chacun se terre chez soi devant Vivement le sabbat prochain, après avoir soupiré pour la vingtième fois devant la fenêtre fermée.
Alors quoi, personne à enquiquiner dans les ruelles humides ? Nulle âme dans les chemins creux, pas un chat noir au bord de la mare, nenni derrière les bouchetures ? Pas glop.
Heureusement, un jeu de jonchets se trouvait non loin de là, fraîchement taillé, juste avant la remontée de sève, gage d'un bon équilibrage des troncs qui n'étaient dans leurs mains que de minces fétus. Une pratique intensive avait en effet donné aux birettes une main de fer. (Pour le gant de velours, vous repasserez.)Elles marquèrent à la peinture rouge les points sur les jonchets. La plus âgée lança l'ensemble, puis elle en retira délicatement un 46.
"Peuh, une chance de birette !", persifla sa cadette.
La benjamine retint sa respiration et attrapa adroitement le 7, le 9 et le 1. Hélas, elle fit trembler le 8 au passage et les deux autres se récrièrent pour qu'elle passe son tour. Très mauvaise joueuse, elle voulut conserver tout de même les jonchets. Ce geste déclencha une mêlée générale où cheveux crêpés et manches à balai s'entremêlaient.
La main crispée sur le 9, la benjamine, qui était des trois la plus acharnée, ne voulait pas lâcher sa prise. Elle finit par l'emporter de haute lutte, et les deux autres s'en allèrent en fulminant et en jetant des sorts à tout va.
La prochaine fois, elles joueront au Jenga, ce sera moins dévastateur.
